world« Technologie révolutionnaire », « bouleversement majeur », les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier la « blockchain ». Selon de nombreux observateurs, ce registre de transaction automatisé et sécurisé pourrait changer en profondeur l’organisation des échanges économiques, sociaux ou encore juridiques. Créée pour échanger des Bitcoins en 2008, ce système ultra-sécurisé de stockage et de transmission d’informations annonce d’importantes transformations dans le monde du droit en permettant de créer la confiance, sans tiers de confiance. Une révolution juridique qui pose encore de nombreuses questions.

 

I. La blockchain, la confiance sans le tiers de confiance

 

A. La technologie blockchain au service des créateurs d’œuvres 

 

La blockchain permet aux artistes numériques « d’enregistrer de manière fiable et sécurisée leur droit de propriété sur une oeuvre numérique, et d’en suivre la diffusion» [1].
Cette technologie simplifie donc la certification ainsi que la traçabilité des oeuvres.
Actuellement, comme le souligne BenjiRogers, fondateur de Pledge Music [2] : « une simple chanson peut demander plusieurs paiements à une multitude de personnes, à différents moments, dans différents pays et organisations. Il n’existe pas de base de données mondiale pour tracer la propriété [3] ».
La blockchain permet de contrôler largement les oeuvres digitales en procédant à un enregistrement de l’oeuvre elle-même, de ses différents créateurs, ainsi qu’à l’établissement de conditions de la licence permettant son éventuelle exploitation.
Cette dernière présente ainsi une grande pertinence dans le cadres des oeuvres collaboratives comme pour le système des « Licences Creative Commons » en ce qu’elle joue le rôle d’un instrument régulateur, qui retrace jusqu’à l’historique des modifications apportées aux oeuvres.
Les modes de rémunérations sont également facilités dans la mesure où la blockchain permet la mise en place de paiements « désintermédiés via une cryptomonnaie qui rend possible des échanges directs entre fans et artistes». [4].

Ce modèle de rémunération a notamment été expérimenté avec succès par la start-up UjoMusic. À terme, les sociétés de gestion collective des droits d’auteurs devraient certainement s’adapter pour ne pas disparaître.

 

B. La technologie blockchain et le développement des smartcontracts

 

Dans les transactions gérées par la blockchain, « la vérification et l’application des termes du contrat ne sont pas effectuées par un tiers de confiance mais par la technologie elle-même[5] ». Ce qu’on appelle un « smartcontract » ou « contrat intelligent ».

Rédigé sous la forme « If this, then that », l’essence du smartcontract est d’assurer l’exécution autonome d’une convention. Dès lors que l’une des conditions est bafouée, un protocole est enclenché tirant les conséquences de cette violation.
Ce type de contrat n’est pas nouveau.
Cependant, il était limité par l’impératif du recours à un tiers de confiance pour permettre tout transfert d’actif, tel que de la monnaie. Or, cette intervention extérieure pourrait devenir superflue.
Les notaires et avocats auraient donc moins fréquemment à intervenir pour judiciariser une inexécution contractuelle.
Néanmoins, ils resteraient indispensables, car le smartcontract ne peut prévoir tous les cas de figure, ni dans le contrat lui même, ni dans le protocole informatique.

 

II. La blockchain, une révolution juridique qui pose question

 

A. Responsabilité en cas de dérive

 

La première incertitude que suscite la technologie blockchain tient à l’identification de son propriétaire lorsque la chaîne de blocs est publique.
Dans le système d’une blockchain privée, « le processus de consensus ne peut être réalisé que par un nombre limité et prédéfini de participants [6] ».
Le propriétaire peut donc être identifié et protégé en vertu des règles juridiques qui lui sont applicables.
À l’inverse, la blockchain publique, dite « open source », se définit comme une licence par laquelle « l’auteur autorise la copie, la modification et la diffusion de l’oeuvre modifiée ou non, (…) sans transférer les droits d’auteur qui y sont attachés et sans que l’utilisateur ne puisse réduire ces libertés tant à l’égard de l’oeuvre originelle que de ses dérivés [7] ».

Cette imprécision soulève automatiquement la question du régime de responsabilité : comment identifier le responsable d’agissements illicites sur la blockchain publique ? Cette question ne trouve, pour l’heure, aucune réponse satisfaisante. Dans l’hypothèse où l’on souhaiterait faire porter la responsabilité aux utilisateurs, l’essence quasi « anonyme » du système, auquel on s’inscrit avec un pseudonyme, complexifie l’application des contrôles. Difficile également de responsabiliser le ou les créateur(s) du logiciel. Enfin, il resterait difficile de mettre fin aux opérations litigieuses car « celles-ci agissent de façon complètement autonome sur la blockchain [8] ».

 

B. La détermination de la force juridique d’une preuve numérique 

 

La blockchain pose également la question de la force juridique des contrats conclus. En effet, les opérations réalisées dans le cadre d’une blockchain publique « n’ont pas d’autre force juridique que la valeur que les participants à la chaîne veulent bien leur donner [9] ».

Elles ne présentent de force juridique qu’entre les deux parties à la transaction et n’est pas opposable aux tiers. À l’inverse, les blockchains privées sont encadrées par des règles déterminées par l’organisme administrateur de la chaîne. Ces règles internes sont donc opposables à tous les participants de la chaîne. En outre, dans le cas particulier des chaînes de blocs se présentant sous la forme de registres, le système ne fait que répertorier des transactions déjà existantes.

La force juridique de ce type de preuve dépend alors du régime juridique élaboré. L’exemple a été donné d’une blockchain utilisée en guise de cadastre. Le législateur pourra, à l’avenir, déterminer la force juridique qu’il entend accorder à ce type de preuve, celle-ci pouvant aller de la simple « preuve réfragable de propriété » au véritable « titre de propriété [10] ». La force de la valeur juridique des transactions dépend ainsi du degré d’inviolabilité que le législateur voudra bien leur reconnaître.
Auparavant matérielle, humaine et par conséquent particulièrement difficile à apporter, la preuve peut donc désormais devenir numérique, informatique et sûre.

 

Remerciements à Rebecca Zbili, juriste au sein du cabinet Bondard, pour sa contribution à la rédaction de cet article

 

Maître Céline Bondard, avocat aux barreaux de Paris et New-York ; co-fondatrice et présidente de la French-American Bar Association France (FABA).

 

[1] adorer-la-blockchain.N373037
[2] Plateforme de crowdfunding et de direct-to-fans pour musiciens
[3] G. Buffet, Comprendre la Blockchain, Livre Blanc édité en janvier 2016 par U-uchange.co, p. 38.
[4] et [10] Voir supra.
[5] G. Buffet, Comprendre la Blockchain, Livre Blanc édité en janvier 2016 par U-uchange.co, p. 16.
[6] a35772.html
[7] Clément-Fontaine M., Les oeuvres libres, Thèse Montpellier,2006.
[8] https://blockchainfrance.net/2016/02/14/droit_
blockchain_contrats
[9] la-blockchain-et-la-loi
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CategoryActualités