La situation sanitaire liée par l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences, à savoir en particulier la fermeture obligatoire de certains commerces et le confinement de la population, entrainent une paralysie de l’économie qui met en difficulté l’ensemble des acteurs économiques, et en particulier de nombreux preneurs de baux commerciaux et professionnels dont certains ne pourront pas payer tout ou partie de leur loyer commercial ou professionnel.

Des mesures ont été prises par le gouvernement afin d’alléger les loyers et les charges dus par les entreprises, nous les détaillons ci-dessous. Ces mesures ne permettent pour l’essentiel que le report des loyers commerciaux et professionnels. Elles n’ont en tout état de cause qu’un effet limité en raison de leur champ ou de leurs conditions d’application strictes.

De même, nous détaillons dans cette note les principaux arguments légaux que vous pouvez invoquer au titre du droit commun des contrats, à savoir la « force majeure », « l’obligation de délivrance » et « l’exception d’inexécution », tout comme « l’imprévision », notant que ces arguments n’apparaissent pouvoir offrir que des solutions limitées ou partielles aux difficultés rencontrées par les preneurs.

I. Quelles sont les mesures spécifiques prises par le gouvernement pour alléger les loyers et les charges ?

Dans le cadre de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de
Covid-19, le gouvernement a adopté deux textes concernant les loyers commerciaux et
professionnels, à savoir :

  • L’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures de gaz, d’eau et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de Covid-19 ;
  • L’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

II. Mon entreprise peut-elle obtenir le report ou l’annulation pure et simple des loyers sur la base de ces ordonnances, dans la mesure où nous ne pouvons pas accéder à nos locaux ?

Ces deux dispositifs mis en place par le gouvernement ne permettent que le seul report des loyers commerciaux ou professionnels pour une durée allant jusqu’au 24 juin ou au 24 juillet 2020 (sauf prorogation de l’état d’urgence sanitaire), et en aucun cas leur annulation.

En outre, ces textes ont un effet très relatif dès lors que :

  • Les dispositions de l’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, si elles permettent le report du règlement des loyers commerciaux et professionnels par la paralysie de l’ensemble des mécanismes pouvant être invoqués par les bailleurs pour obtenir le paiement des loyers, garanties comprises, ne peuvent être invoquées que par un nombre très restreint d’entreprises, celles qui :
    • Ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public ou qui ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins cinquante pour cent pendant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 (par rapport au mois de mars 2019);
    • Ont débuté leur activité avant le 1er février 2020 ;
    • Ne sont pas cessation de paiement au 1er mars 2020 ;
    • Ont un effectif inférieur ou égal à 10 salariés ;
    • Ont un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros au dernier exercice clos (pour les entreprises nouvelles n’ayant pas encore clos d’exercice, le chiffre d’affaire mensuel moyen doit être inférieur à 83.333 € sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020) ;
    • Rémunère leur dirigeant à un montant maximum de 60.000 €.
  • Les dispositions de l’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, si elles concernent cette fois l’ensemble des entreprises, ne permettent le report du paiement des loyers que par la seule paralysie de la clause résolutoire et des pénalités financières, mais laissent aux bailleurs la possibilité d’invoquer les garanties prévues dans les contrats de bail.

En effet, en application de l’Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, le non-paiement des  loyers commerciaux et professionnels est seulement « neutralisé » entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit  le 24 juillet 2020 (sauf prorogation) dès lors que :

  • Les preneurs n’encourent aucune pénalités financières ou intérêts de retard ;
  • Les bailleurs ne peuvent demander le versement de dommages-intérêts ou d’astreinte ;
  • Les bailleurs ne peuvent faire jouer la clause résolutoire, la clause pénale ou toute clause prévoyant une déchéance qui seraient prévues dans le contrat de bail ;
  • Les bailleurs ne peuvent activer les garanties ou cautions.

Aussi, cette Ordonnance ne prévoit en aucun cas l’effacement les loyers puisqu’une fois l’expiration du délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 juillet 2020 (sauf prorogation), les bailleurs pourront mettre en œuvre les clauses résolutoires et de déchéances, etc., tout comme les garanties prévues aux contrats de bail, si le preneur n’a pas réglé l’ensemble des loyers dus avant ce terme.

De même, le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont simplement suspendus pendant la période susvisée, et non annulés.

En outre, le périmètre des entreprises pouvant bénéficier de ce dispositif est limité.

A l’instar de l’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, l’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars  2020 n’offre que le seul report du paiement des loyers commerciaux ou professionnels pour la  période allant du 12 mars 2020 à l’expiration d’un délai cette fois d’un mois seulement après la  date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit au 24 juin 2020 (sauf prorogation) dès lors que :

  • Les preneurs n’encourent aucune pénalités financières ou intérêts de retard ;
  • Les bailleurs ne peuvent demander le versement de dommages-intérêts ou d’astreinte ;
  • Les bailleurs ne peuvent faire jouer la clause résolutoire, la clause pénale ou toute clause prévoyant une déchéance qui seraient prévues dans le contrat de bail.

En conséquence, une fois l’expiration du délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 juin 2020 (sauf prorogation), les bailleurs pourront mettre en œuvre les clauses résolutoires, pénales, de déchéances, etc. si le preneur n’a pas réglé l’ensemble des loyers et charges dus avant ce terme

Si à la différence du texte précédent, toute les entreprises bénéficient des dispositions de cette ordonnance, les clauses de garantie sont pas mis en veille. Aussi, en l’absence de paiements des loyers commerciaux, professionnels ou des charges y afférentes, rien n’interdit au bailleur d’actionner les garanties prévues au contrat de bail.

La protection offerte par l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 n’est ainsi que très relative, surtout si le bail prévoit une garantie à première demande au bénéfice du bailleur.

III. Pouvons-nous faire jouer d’autres recours pour obtenir le report voir l’annulation des loyers commerciaux et professionnels possible ?

Différents arguments tirés du droit commun français sont à considérer : le recours à la « force majeure » pourrait vous permettre d’obtenir le report des loyers et le gel de l’application de la clause résolutoire ; « l’exception d’inexécution » pourrait autoriser les seuls preneurs de baux commerciaux dont les commerces font l’objet d’une fermeture obligatoire du 15 mars au 15 avril 2020 en application de l’arrêté du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 d’obtenir une annulation de leurs loyers ; en revanche, le recours à l’imprévision n’apparait offrir aucune mesure adaptée à la présente situation.

Nous détaillons ces arguments plus avant ci-dessous.

IV. Puis-je arguer d’une situation de force majeure pour obtenir soit le report des loyers soit leur annulation, soit la résiliation immédiate du contrat de bail ?

Il peut être soutenu au regard des dispositions de l’article 1218 du code civil que la présente épidémie et ses conséquences sont constitutives d’un cas de force majeure (sur ce point nous vous renvoyons à notre article « Clause de force majeure, épidémie et liberté contractuelle » accessible sur les liens suivants : https://www.village-justice.com/articles/clause-force-majeure-epidemies-liberte-contractuelle,34085.html et https://bondard.fr/clause-de-force-majeure-sein-de-vos-contrats-commerciaux-tenant-compte-coronavirus-covid-19/.)

Cependant, le recours à la force majeure ne permet au preneur d’obtenir que la suspension du  paiement des loyers commerciaux et professionnels, qui en tout état restent dus, et en aucun cas leur exonération, sauf à l’invoquer pour obtenir la résiliation du contrat de bail.

En effet, ainsi que le précisent les dispositions de l’article 1218 du code civil, la force majeure permet à celui qui l’invoque soit de suspendre l’exécution de ses obligations lorsque l’empêchement est temporaire, soit la résolution du contrat lorsque l’empêchement devient définitif.

En tout état de cause, les Tribunaux peinent à admettre la force majeure pour justifier l’inexécution d’une obligation monétaire, et en restreignant le champ d’application de la force majeure aux obligations de faire et de donner. A ce titre, la Cour de cassation a notamment jugé que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20.306).

De même, le recours à la force majeure ne permettra pas de paralyser le jeu ni de la caution  (Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20.306 ), ni des garanties à première demande (Cass.  com., 20 février 1985, n° 83-16.922 et Cass. com., 10 juin 1986, n°84-17.769).

Tout du moins, le recours à la force majeure permettra de paralyser l’application de la clause résolutoire (Cass. civ. 3ème, 24 juin 1971, n° 70-12.017 ; CA Paris, 24 janvier 2020, RG n° 19/13232).

V. Nos locaux commerciaux sont fermés en raison des diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus. Puis-je arguer du fait que le bailleur manque à son obligation de délivrance ?

L’obligation du bailleur à son obligation de délivrance pourrait justifier l’annulation des seuls loyers commerciaux dans le cas spécifique où le local est fermé en application de l’arrêté du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 d’obtenir une annulation de leurs loyers

Aux termes de l’article 1719 du code civil, le bailleur est tenu d’une obligation de délivrance qui suppose, outre la remise matériel du local, qu’il s’assure que le preneur puisse exercer son activité.

Bien qu’en principe le preneur ne peut suspendre le paiement du loyer en raison d’un manquement du bailleur à ses obligations en application de l’article 1728 du code civil, l’exception d’inexécution prévue aux articles 1219 et 1220 du même code est admise lorsque le preneur ne peut pas exploiter normalement les lieux loués.

Il est en effet de jurisprudence constante qu’une impossibilité absolue pour le bailleur d’exploiter son local commercial autorise ce dernier, dès lors que celle-ci est causée par un manquement du bailleur, à opposer une exception d’inexécution lui permettant d’obtenir une annulation de sa dette locative durant cette période (Cass. civ. 3ème, 19 novembre 2015, n° 14-24.612).

Cependant, dans l’hypothèse où l’impossibilité pour le preneur d’exploiter son local commercial trouve sa cause, non dans un manquement du bailleur, mais d’un évènement extérieur à ce dernier comme c’est le cas actuellement, le preneur peut-il invoquer le manquement du preneur à son obligation de délivrance pour justifier l’exception d’inexécution ?

A première vue, non, dès lors que la non-délivrance des locaux par le bailleur ne trouve sa cause dans aucun manquement de sa part. Toutefois, si le preneur n’apparait pas fondé à invoquer d’une inexécution du paiement du loyer au regard des manquements du bailleur, il pourrait le faire au regard de la force majeure empêchant ledit bailleur, en l’absence de tout manquement, de remplir son obligation de délivrance prévue à l’article 1719 du code civil puisque la jurisprudence a admis l’impossibilité, pour le bailleur, de satisfaire à cette obligation dans un cas de force majeure (Cass. civ. 3ème, 7 mars 2006, n°04-19.639).

Ici, à la différence de l’hypothèse présentée ci-dessus au point a) où c’est le preneur qui invoque la force majeure pour suspendre le paiement de ses loyers, et donc pour justifier l’inexécution d’une obligation monétaire, c’est le bailleur qui pourrait alors l’invoquer pour justifier de l’inexécution de son obligation de délivrance, qui est une obligation de faire.

Les effets de la force majeure pourraient dès lors être semblables à ceux d’une exception d’inexécution et ainsi conduire à une annulation de la dette locative durant la période d’impossibilité absolue d’exploiter. En l’état, il est difficile de savoir de quel côté les tribunaux pencheront dans le cade des litiges qui ne manqueront pas de leur être soumis.

VI. L’exécution du contrat de bail étant devenue excessivement onéreuse pour mon entreprise, pouvons-nous avoir recours au mécanisme de l’imprévision ?

En application de l’article 1195 du code civil, les parties peuvent renégocier leur contrat lorsqu’un changement de circonstances imprévisibles lors de sa conclusion rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie.

En cas d’échec dans la renégociation, les parties peuvent décider de résoudre le contrat ou de soumettre ce contrat au juge, qui procédera à son adaptation.

Cette disposition pourrait parfaitement s’appliquer à la présent épidémie, imprévisible lors de la conclusion du contrat de bail et dont les conséquences en rendent l’exécution, et en particulier le paiement des loyers et des charges, excessivement onéreuses pour le preneur.

Cependant, le recours à cette notion suppose que le contrat de bail concerné été conclu ou renouvelé après le 1er octobre 2016.

Surtout, en raison des effets attachés à l’imprévision, son utilité apparait très limitée puisque :

  • Le preneur qui entend se prévaloir de l’imprévision doit demander au bailleur une renégociation des termes du contrat de bail commercial ou professionnel pendant laquelle il est tenu de poursuivre l’exécution de ses obligations, et notamment le paiement de ses loyers et charges ;
  • En cas de refus ou d’échec, les parties ont le choix entre la résolution du contrat ou le recours au juge aux fins d’adaptation de la convention. A défaut d’accord sur l’une ou l’autre des branches de l’alternative, le juge peut, à la demande de l’une des parties, réviser le contrat ou le résoudre. Etant donné la fermeture actuelle des juridictions sauf contentieux essentiels, l’imprévision semble réduite à sa forme la plus simple : une renégociation des termes rapide et de bonne foi entre preneur et bailleur.

Nous sommes à votre disposition pour toute question et pour vous accompagner.

Maître Céline Bondard Maître Guillaume Couet

Avocat à la Cour et au Barreau de New York Avocat au Barreau de Paris

Site Internet: www.bondard.fr
Cabinet Bondard – Toque B0181

62 rue de Maubeuge – 75009 Paris
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