En raison du coronavirus (« Covid-19 ») et des conséquences du confinement actuel en France, certains services de livraison ne sont plus assurés et des marchandises risquent d’être immobilisées pour une période indéterminée.

Des marchandises sont alors stockées d’un côté ou de l’autre de la relation contractuelle, voire par des intermédiaires. Quid des coûts liés à l’entreposage ? Quelle partie au contrat doit légalement les assumer ?

A défaut de stipulations contractuelles spécifiques, auquel cas il faut s’en référer à votre contrat, le droit commun apporte plusieurs éléments de réponses.

I. Les marchandises que j’ai vendues / achetées sont bloquées dans un entrepôt, quelle partie au contrat doit supporter les frais liés à l’entreposage ?

Lors de la formation d’un contrat de vente, la propriété de la chose vendue est automatiquement transférée à l’acheteur et il en va de même pour les risques liés à cette chose.

Ainsi, la partie recevant la propriété de la chose vendue en accepte la charge des risques, sauf dispositions contractuelles ou légales contraires, déterminant ainsi la partie qui assumera les dégradations causées à la marchandise ainsi que les frais incidents aux risques du transport, au titre desquels figurent les frais liés à l’entreposage (CA Douai, 31 mars 2016, n° 14/05396)1.

En effet, l’article 1196 du Code civil dispose que :

« Dans les contrats ayant pour objet l’aliénation de la propriété ou la cession d’un autre droit, le transfert s’opère lors de la conclusion du contrat. (…) Le transfert de propriété emporte transfert des risques de la chose. Toutefois le débiteur de l’obligation de délivrer en retrouve la charge à compter de sa mise en demeure, conformément à l’article 1344-2 et sous réserve des règles prévues à l’article 1351-1. »

Dans le cas où le transfert de la propriété, et donc des risques, a eu lieu lors de la formation du contrat, et comme le souligne la cour d’appel de Douai dans l’arrêt susvisé, « le transfert des risques et de la propriété ayant été opéré au profit de la société X (…) l’acquéreur doit en assumer les frais d’entreposage jusqu’à ce qu’il en ait pris livraison ».

Ainsi, l’acquéreur devra assumer l’intégralité des frais liés au stockage de la marchandise jusqu’à ce qu’il en reçoive possession, soit suite à la réalisation de la livraison soit suite à l’enlèvement de la marchandise par ses propres soins. Dans ce cas de figure, le vendeur n’a pas à assumer les sommes liées au stockage de la marchandise.

II. Le transfert des risques est-il toujours transféré à l’acheteur lors de la formation du contrat ?

Les parties peuvent contractuellement prévoir quand et à quel moment les risques sont transférés à l’acheteur. A défaut de dispositions contractuelles contraires, ce transfert a lieu lors de la formation du contrat.

Il existe également des cas spécifiques où le transfert des risques s’opère non pas au moment de la formation du contrat mais à compter de la livraison. C’est notamment le cas pour la vente au départ par voie maritime (article L. 5424-2 du Code des transports), la vente internationale de marchandises codifiée par la Convention de Vienne du 11 avril 1980 ou encore lorsqu’un vendeur professionnel expédie un bien à un consommateur sans que ce dernier n’ait organisé le transport du bien concerné (article L. 216-4 du Code de la consommation).

III. En cas de transfert des risques lors de la livraison, qui assume les frais d’entreposage ?

Dans l’hypothèse où la marchandise serait bloquée dans un entrepôt et que le vendeur n’ait pas pu procéder à la livraison, ce dernier est alors toujours considéré comme propriétaire des marchandises. A ce titre, il assumera les risques liés à ces marchandises, dont les frais d’entreposage. Le vendeur ne sera libéré de ces risques qu’à compter de la réalisation de son obligation de livraison2.

IV. Quand bien même l’acheteur serait propriétaire des marchandises, peut-il transférer les risques au vendeur ?

Contractuellement, les parties sont libres de prévoir pareille stipulation. En l’absence d’une telle clause, l’acheteur peut également transférer la charge des risques au vendeur, et donc des frais d’entreposage. Ainsi, comme le souligne le Professeur Salvat dans sa synthèse sur la vente commerciale : « Il en est ainsi tant qu’une mise en demeure n’a pas été notifiée au vendeur »3.

L’article 1196 énonce expressément que :

« le débiteur de l’obligation de délivrer (le vendeur) en retrouve la charge à compter de sa mise en demeure, conformément à l’article 1344-2 et sous réserve des règles prévues à l’article 1351-1. ».

L’article 1344-2 dispose que :

« la mise en demeure de délivrer une chose met les risques à la charge du débiteur, s’ils ne le sont pas déjà ».

Faisant application de l’ex-article 1138 du Code civil, ancienne numérotation de l’article
1344-2, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a retenu dans un arrêt du 14 avril 2015 que « l’article 1138 du code civil met la chose aux risques et périls du créancier de l’obligation de restitution qui en est devenu propriétaire et quand bien même la remise matérielle ne lui en aurait pas été encore faite, à moins qu’il n’ait mis en demeure le débiteur de l’obligation de livrer de le faire. » (CA Aix-en-Provence, 14 avril 2015, n° 13/17807)4.

Ainsi, l’acheteur peut se libérer des risques et les transférer au vendeur dès lors qu’il l’aura mis en demeure de réaliser son obligation de livraison.

V. Que se passe-t-il si l’acheteur refuse purement et simplement de réceptionner les marchandises commandées ?

Dans ce cas de figure, l’acheteur assumera les frais d’entreposage. En effet, si la livraison de marchandises a été réalisée conformément aux conditions du contrat : l’acheteur supportera les risques survenant ultérieurement, le transfert des risques ayant eu lieu (Cass. 3ème civ., 17 avril 19615 – Cass 1ère civ, 19 novembre 19916).

Par ailleurs, au même titre que le vendeur est tenu de livrer la marchandise, l’acheteur est tenu de la réceptionner à l’occasion de la livraison. Le manquement de l’acheteur à cette obligation est constitutif d’une faute.

A titre d’illustration, la cour d’appel de Riom dans son arrêt du 23 mai 2018 (n°17/00192)4 affirme que « le retirement est une obligation naturelle de l’acheteur qui est liée à la délivrance mais s’en distingue : il consiste pour l’acheteur à enlever le bien détenu par le vendeur pour acquérir la détention ». Elle poursuit en affirmant que « l’acquéreur qui a fait obstacle à la livraison, ne peut reprocher le défaut de délivrance à son vendeur »7.

Ainsi, le vendeur s’est acquitté de son obligation de délivrance et l’acquéreur assumera les risques liés à la marchandise.

De plus, en refusant de réceptionner les marchandises commandées, et toujours selon la cour d’appel de Riom dans l’arrêt susvisé :

« Il (l’acheteur) serait en faute en ne procédant pas au retirement du bien qu’il a acheté ».

En tout état de cause, l’acheteur ne peut refuser de payer le vendeur du prix des marchandises en arguant du fait qu’il n’a pas réceptionné les marchandises, la non-réception de celles-ci étant de son propre fait.

VI. Que se passe-t-il si l’acheteur ne peut réceptionner les marchandises, refuse de payer voire demande le remboursement des sommes déjà payées en arguant de la force majeure ?

Si tant est qu’il s’agisse d’un cas de force majeure, alors il peut y avoir remboursement selon la nature de l’empêchement et l’économie du contrat. Si l’empêchement causé par un événement de force majeure n’est que temporaire, alors les obligations sont temporairement suspendues. En revanche, si l’empêchement est définitif ou que le retard qui en résulterait serait de nature à justifier l’annulation du contrat, alors le contrat est dit résolu et les parties n’ont plus à réaliser leurs obligations.

La définition et les effets de la force majeure figurent à l’article 1218 du Code civil, lequel dispose que :

“Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.”

Ainsi, le refus de réceptionner les marchandises ou de payer peut-être justifié selon la nature de l’empêchement.

Quant à la question du remboursement, il convient de se référer au régime de la résolution.

Jusqu’à la réforme du 1er octobre 2016, la résolution emportait l’anéantissement du contrat et, traditionnellement, la remise en l’état de la situation des parties avant la formation du contrat.

La Cour d’appel de Reims, dans un arrêt du 3 octobre 2017 (n°14/02758) faisant alors application de l’ancienne règle, affirme que :

« La résolution a pour effet d’anéantir le contrat de façon rétroactive, ce qui impose de remettre les parties en l’état où elles se trouvaient avant la conclusion. Ainsi, la résolution du contrat de vente et de prestation de service entraîne la restitution du prix et la restitution du matériel livré et installé ».

Désormais, tel qu’indiqué à l’article 1229 alinéa 3 du Code civil :

« Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. »

Ainsi, la restitution des sommes engagées, versées et plus généralement des obligations réalisées avant la survenance de la force majeure n’est plus systématiquement appliquée.

Déterminer s’il y a lieu ou non de procéder à un remboursement dépendra de l’économie du contrat et nécessitera donc une approche casuistique.

En tout état de cause, il pourrait vraisemblablement y avoir restitution pour tout contrat de vente, puisque la remise en cause du transfert de propriété ne peut s’opérer sans que la chose vendue et le prix payé soient restitués, il en est de même pour tout contrat translatif de propriété (cession, apport, donation)8.

Ainsi, lorsque les prestations échangées ne trouvent leur utilité que par l’exécution complète, une restitution doit se faire afin que les parties se retrouvent dans la même situation que celle précédent la formation du contrat.

Pour plus d’informations sur la force majeure, nous vous invitons à vous référer à notre article « Clause de force majeure, épidémies et liberté contractuelle »6 également paru sur www.village-justice.com/articles/clause-force-majeure-epidemies-liberte-contractuelle,34085.html ainsi que sur le site du cabinet https://bondard.fr/clause-de-force-majeure-sein-de-vos-contrats-commerciaux-tenant-compte-coronavirus-covid-19/.

VII. Que se passe-t-il si, en raison d’un événement de force majeure, les marchandises ne sont pas arrivées à destination ?

Si les marchandises n’arrivent pas à destination en raison d’un évènement de force majeure, le contrat n’est pas pleinement exécuté et l’acheteur est en droit de demander la résolution du contrat.

L’article 1654 du Code civil dispose en effet que :

« si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l’acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur. »

Cependant, du fait de la force majeure, l’acheteur ne saurait chercher la responsabilité du vendeur, le défaut de livraison ne venant pas que de son fait.

Pour autant, et dans la lignée de ce qui a été exposé précédemment, la force majeure devrait emporter la résolution du contrat et, selon son économie, restitution des sommes déjà versées.

Nous sommes à votre disposition pour toute question.

Maître Céline Bondard

Avocat à la Cour et au Barreau de New York

Cabinet Bondard – Toque B0181
62 rue de Maubeuge – 75009 Paris

T: +33 (0) 1 85 08 33 28 / F: +33 (0)9 59 55 15 15 / M: cb@bondard.fr

Bibliographie :

  • Cour d’appel de Douai, 31 mars 2016, n° 14/05396 ;
  • Fasc. 90 : Transfert de la propriété et des risques, JurisClasseur Contrats – Distribution, par Régine Bonhomme, Professeur à la faculté de droit de Montpellier (10 mars 2017), point 35 « Transfert des risques liés à la livraison » ;
  • Synthèse – Vente commerciale, Lexis360, par Odile Salvat, Professeur émérite de l’Université de Caen (18 février 2019), point 44 « Lien entre la propriété et la charge des risques » ;
  • Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 14 avril 2015, n° 13/17807 ;
  • Cour de cassation, troisième chambre civile, 17 avril 1961 (publication n° 163) ;
  • Cour de cassation, première chambre civile, 19 novembre 1991, (n° 90-15731) ;
  • Cour d’appel de Riom, 23 mai 2018 (n° 17/00192) ;
  • Éditions Francis Lefebvre, Memento Droit Commercial 2019, n° 15627.
Share this: