Maître Céline Bondard, avocate aux barreaux de Paris et New York, et Frédéric Galinier, directeur juridique de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, ont évoqué ensemble, pour le Journal Spécial des Sociétés, les problématiques juridiques liées au statut légal des mannequins et à la protection dont ils bénéficient en droit du travail. La réglementation française évolue dans le bon sens depuis quelques années, mais des ajustements seraient les bienvenus selon nos experts.

Pourriez-vous vous présenter ?

Fréderic Galinier : Passionné par le droit de la presse, après une formation initiale en droit de la communication et droit de la presse écrite dispensée par Paris II et l’IEP de Rennes, j’ai tout d’abord été juriste auprès d’un avocat spécialiste du droit de la presse et de la publicité. J’ai ensuite rejoint l’Opéra national de Paris, de 2000 à 2004, puis Hermès International, où j’ai été détaché par la direction juridique au sein de la direction artistique. En 2008, je suis revenu à mes passions d’étudiant en rejoignant le groupe Prisma Media, en qualité de responsable juridique, où je suis resté neuf ans. Depuis novembre 2016, je suis directeur délégué de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, en charge des questions juridiques, sociales et institutionnelles.


Maître Céline Bondard : Avocate aux barreaux de Paris et de New York, j’ai fondé le Cabinet d’avocats Bondard en 2010, après avoir exercé plusieurs années dans des cabinets américains à Washington D.C., New York et Paris. Le cabinet concentre sa pratique sur l’accompagnement juridique des sociétés créatives et/ou porteuses d’innovation. J’enseigne également des sujets juridiques liés à la propriété intellectuelle et l’innovation dans différentes écoles de commerce, dont HEC et Polytechnique à Paris. Étant intéressée par les sujets touchant aux industries créatives et à leur avenir, je me suis naturellement tournée vers le secteur de la mode et tout ce que l’on appelle la « fashiontech », pour désigner les nouvelles technologies au service du secteur. Nous co-organisons notamment une conférence annuelle à Paris sur le droit de la Mode et de l’Innovation, dont la prochaine édition aura lieu à la Sorbonne.

 

Que pensez-vous de la « loi mannequin »(i.e., la loi Santé), destinée à empêcher l’emploi de mannequins jugés comme étant trop « maigres » ?

FG : La question de la minceur, mais surtout de la santé au travail, est plus que jamais d’actualité.

La prise en compte des particularités du mannequinat par la réglementation est, sur le fond, bienvenue. Depuis plus d’un an maintenant, les mannequins qui défilent en France doivent justifier d’un certificat médical d’une validité de moins de deux ans, ce certificat étant établi au regard, notamment, de l’IMC (indice de masse corporelle) de la personne. Or, on peut regretter deux choses : quelle valeur peut-on accorder à un certificat datant de 24 mois ? Par ailleurs, si l’IMC est un indice pertinent pour évaluer l’état de santé d’une personne, il existe des particularités physiologiques où l’on peut être en parfaite santé en dépit d’un IMC jugé trop faible. Ainsi, le risque de discrimination de mannequins jugés trop maigres alors qu’ils seraient aptes à travailler existe.

De plus, s’il faut lutter contre les stéréotypes liés à la maigreur et prévenir, chez les plus jeunes notamment, les comportements dangereux pour la santé, il convient également de ne pas stigmatiser inutilement les personnes « naturellement » minces. En résumé, la réglementation répond de façon imparfaite à ces problématiques. On peut saluer les initiatives de certains groupes privés (LVMH et KERING2), qui ont signé une charte aux termes de laquelle sont exigés des certificats médicaux datant de moins de six mois.

De plus, des restrictions d’âge (moins de 16 ans) et de taille (bannissement de la taille 32 pour les femmes et de la taille 42 pour les hommes) ont été mises en place. 

 

CB : En effet, l’IMC sert en particulier de curseur pour juger l’état de santé d’un mannequin. Or, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une personne est considérée comme maigre lorsque son IMC (rapport entre poids et taille) est inférieur à 18,5. On peut argumenter sur le caractère subjectif de ce curseur au regard de la diversité des êtres humains. En même temps, il s’agit d’une évolution réglementaire française utile sur le principe, utilement complétée par les chartes adoptées par certains groupes privés qui vont au-delà de la législation applicable pour encadrer des situations concrètes et unifier les pratiques. Notons également que d’autres pays européens avaient adopté des dispositions similaires depuis longtemps, parfois en adoptant une limite d’IMC différente (minimum de 18 pour l’Espagne).

En tout état de cause, la réglementation française a le mérite de poser des sanctions claires, pénales, en cas de non-respect de l’obligation de certificat médical. En effet, le fait, pour toute personne « exploitant une agence de mannequins ou s’assurant, moyennant rémunération, le concours d’un mannequin, de ne pas respecter l’obligation » de certificat médical, est puni de six  mois d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (article L. 7123-27 du Code du travail)..

1) Même si, conformément à la réglementation, le médecin peut de lui-même réduire la durée de validité dudit certificat en considération de l’état de santé du mannequin.
2) « Charte sur les relations de travail et le bien-être des mannequins » du 6 septembre 2017.

…Y a-t-il un lien à faire avec les photos retouchées ? En effet, on pourrait aussi bien embaucher des mannequins en conformité avec cette nouvelle réglementation, mais la problématique resterait présente si les photos sont retouchées, non ?

FG : En effet, d’où le « Décret Photoshop » signé dans le même mouvement et partageant un même objectif. La loi du 26 janvier 2016 et son décret d’application ont pour objectif de protéger le public en l’informant. Dès qu’une photo à usage commercial a été modifiée par un logiciel de traitement d’image pour affiner ou épaissir la silhouette du modèle, la mention « Photographie retouchée » doit apparaître, et ce, dans le but « d’aiguiser le sens critique de nos concitoyens3 » pour mieux lutter contre l’anorexie et la maigreur excessive. Le problème ici est l’imprécision des textes, qui rend leur interprétation difficile. Aussi peut-on s’interroger sur le degré de connaissance de cette réglementation par le lecteur. Comment peut-il comprendre qu’une photo manifestement retouchée, pour lisser des imperfections de peau ou de la cellulite, ne fasse pas l’objet de la mention « photographie retouchée » ? Cette réglementation ne peut-elle pas entraîner
un effet inverse, à savoir conduire certains annonceurs à choisir des mannequins particulièrement minces de sorte à échapper à la mention ? Si le but recherché reste louable, les moyens mis en oeuvre donnent à s’interroger quant à leur pertinence ou à leur efficacité. 

CB : La mention de « photographie retouchée » doit être également « apposée de façon accessible, aisément lisible et clairement différenciée du message publicitaire ou promotionnel » (article R. 2133-5 du Code de la santé publique). L’appréciation de ces dispositions est subjective, et l’ARPP (Organisme de régulation professionnelle de la publicité en France) vient préciser ces dispositions (mentions d’une taille suffisante, à l’horizontale…). Par ailleurs, comme souligné par Monsieur Galinier, cette réglementation concerne bien la correction d’une silhouette, mais pas par exemple l’effacement des rides. En conséquence, la mention peut induire le public en erreur, en ce que le public, ne voyant pas la mention « photographie retouchée » imaginerait – légitimement – que la photo n’a pas été retouchée. Ainsi aurait-il peut-être été utile d’inclure dans le cadre de cette obligation toute retouche touchant à la peau, morphologie, corpulence du mannequin (par exemple, modifier la couleur des cheveux échapperait à cette obligation), et/ou de modifier la mention obligatoire pour ajouter un degré de précision. Il est à noter également que l’absence de
cette mention sur les photos concernées est sanctionnée de 37 500 euros d’amende, le montant de cette amende pouvant être porté à 30 % des dépenses consacrées à la publicité (article L. 2133-2 du Code de la santé publique).

 

En fait, cela touche globalement au statut légal même des mannequins en France, non ?

SFG : En réalité, là où la « loi mannequin » et le « décret Photoshop » sont appelés à informer le public – et en particulier les jeunes, qui cherchent à ressembler aux modèles des magazines –, le statut légal des mannequins est destiné à protéger ces derniers de la précarité liée à toute profession dite « intermittente ». En droit français, à l’instar des journalistes professionnels ou des artistes du spectacle, les mannequins bénéficient d’une présomption d’emploi salarié, avec tous les avantages sociaux que cela comporte (assujettissement au régime général de Sécurité sociale, indemnité de congés payés, etc.), que l’activité exercée soit occasionnelle ou non. Ils ou elles relèvent par principe du régime des salariés, ce qui implique le paiement systématique de leurs prestations sous forme de salaire, et ce, conformément aux minima négociés par les partenaires sociaux. Cela ne résout bien évidemment pas toutes les difficultés et l’on entend de plus en plus
de voix s’élever, tant en France qu’au plan international – où les mannequins ne bénéficient pas nécessairement de telles protections élémentaires –, pour dénoncer la précarité de cette profession. Là encore, les chartes professionnelles précitées viennent apporter des compléments bienvenus pour améliorer leur bien-être, tout en bénéficiant d’une portée mondiale, ce qui est une vraie opportunité. 


CB : Pour bénéficier de cette protection de salariat au titre du droit du travail, il faut rentrer dans la définition de mannequin, tel que le Code du travail l’entend (article L. 7123-2) : « Est considérée comme exerçant une activité de mannequin (…) toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public (…) un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle (…) ». Si les parties se placent en dehors du régime du salariat, il existe un risque de requalification en contrat de travail, notamment à la demande de l’URSSAF ou si le mannequin, en cas de conflit, saisit le conseil des prud’hommes. On peut également noter que les personnes qui se contentent de présenter un produit ne sont pas considérées comme des artistes du spectacle. Un défilé de mode même très mis en scène ne fait pas des mannequins présents des artistes du spectacle. Ainsi les mannequins n’ont pas le statut d’intermittents du spectacle.
Il serait intéressant d’envisager un statut légal à part. Cela étant dit, il est important de noter que les tribunaux ont eu l’occasion de considérer qu’un mannequin pouvait être considéré comme
un artiste du spectacle dans le cas d’un film publicitaire. Par exemple, dès lors qu’elle s’est livrée à un jeu de scène impliquant une interprétation personnelle et ne s’est pas limitée à prêter son image (cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 2, 16 octobre 2009 n° RG : 09/14550). Toutefois, ces décisions ne concernent que des situations dans lesquelles des mannequins se sont livrés à un jeu d’acteur dans le cadre d’un film publicitaire. 

 

Lien vers l’article du Journal des Sociétés


Pour contacter Maître Céline Bondard :
Cabinet Bondard
62 rue de Maubeuge, 75009 Paris
cb@bondard.fr
www.bondard.fr
Propos recueillis par Maria-Angélica Bailly

 

3) L’expression est de M. Gérard Sebaoun, rapporteur : JOAN, Doc., rapport de la commission des affaires sociales, enregistré le 10 nov.2015.

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