Pendant le stade 3 de l’épidémie, la mise en œuvre du télétravail a été rendu impérative dès lors que le poste de travail le permettait. Dans ce cadre, par exception au principe du volontariat du télétravail, la mise en œuvre du télétravail a été considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés en cas de circonstances exceptionnelles (article L.1222-11 du code du travail).
Actuellement, le Protocole national de déconfinement actualisé précise que le télétravail « reste une solution a privilégier dans le cadre d’un retour progressif ». En outre, le Ministère du Travail recommande très fortement le recours au télétravail si les locaux ne permettent pas de respecter une distanciation suffisante entre les employés, ainsi que dans le but de limiter la densité des locaux des entreprises et de diminuer l’influence dans les transports en commun. Enfin, les politiques de travail ont vocation à s’installer dans la durée, en dehors de tout état de crise sanitaire.
Dans ce cadre, le télétravail devrait être mis en place au sein de l’entreprise, dans les conditions ci-après exposées.
1. Le télétravail répond à quel cadre légal en France ?
Aux termes de l’article L. 1222-9 du code du travail, le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication.
Le télétravail se caractérise ainsi par la combinaison des éléments suivants :
- Le salarié en télétravail doit avoir le statut de salarié ;
- Le salarié en télétravail doit impérativement utiliser les technologies de l’information et de la communication ;
- Le travail que le salarié en télétravail effectue hors des locaux de l’entreprise doit pouvoir être exécuté aussi en son sein ;
- Les modalités d’exécution du télétravail peuvent être régulières mais aussi occasionnelles.
Le télétravail est régi par les articles L 1222-9 à L 1222-11 du code du travail. En outre, un accord national interprofessionnel (ANI) sur le télétravail exercé de façon régulière, applicable dans toutes les entreprises du secteur marchand à l’exception de celles dont l’activité n’est pas représentée par l’une des trois grandes organisation patronales signataires (i.e. Medef, CPME et UPA) a été conclu le 19 juillet 2005 [http://www.zevillage.net/wp-content/uploads//2005/07/ANI_Teletravail_19072005.pdf].
L’ANI du 19 juillet 2005 imposent notamment la prise en charge des frais liés au télétravail par l’entreprise et l’obligation pour l’employeur de fournir par écrit les informations relatives aux conditions d’exécution du travail (rattachement hiérarchique, modalités d’évaluation de la charge de travail, modalités de compte rendu et de liaison avec l’entreprise, ainsi que celles relatives aux équipements, à leurs règles d’utilisation, à leur coût et aux assurances, etc.).
Ces dispositions ne peuvent être écartées que dans les établissements couverts par un accord collectif lorsqu’il comprend des stipulations, même moins favorables, ayant le même objet.
En revanche, l’existence d’une charte mettant en place le télétravail n’écarte pas l’application de l’ANI du 19 juillet 2005.
2. Quelles sont les conditions de recours au télétravail ?
Le télétravail peut s’organiser, selon la volonté des parties :
- De manière régulière, ce qui recouvre plusieurs hypothèses, et notamment :
- Le « télétravail total », dans le cadre duquel les salariés exercent leurs fonctions de manière habituelle à leur domicile ;
- Le « télétravail régulier », dans le cadre duquel les salariés bénéficient d’un ou plusieurs jours de télétravail planifiés par semaine ou par mois ;
- Le « télétravail occasionnel » dans le cadre duquel les salariés bénéficient d’un nombre déterminé de jours de télétravail dans l’année ;
- De manière occasionnelle, pour répondre à des besoins ponctuels, souvent imprévus, liés par exemple aux grèves de transport, à la garde des enfants, aux pics de pollution ;
- Pour permettre aux travailleurs handicapés d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification ;
- En cas d’inaptitude du salarié à occuper son poste de travail. Il est alors préconisé par le médecin du travail.
En outre, en cas de circonstances exceptionnelles, notamment en cas de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, auquel cas, le télétravail peut être considéré comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour assurer la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés.
3. L’employeur peut-il imposer le télétravail au salarié ou l’inverse ?
Sauf en cas de circonstance exceptionnelle, le recours au télétravail repose sur le double volontariat :
- De l’employeur, qui n’est pas tenu d’accepter la demande du salarié qui souhaite bénéficier du télétravail, sauf en cas de mise en place du télétravail pour des circonstances exceptionnelles ;
- Du salarié, qui ne peut se voir imposer le télétravail même s’il y est éligible, et qui peut en tout état de cause toujours décider de revenir sur son acceptation initiale de télétravailler et revenir travailler au sein de l’entreprise.
Lorsque le passage au télétravail est demandé par le salarié, celui-ci est subordonné à l’accord préalable de l’employeur. Deux hypothèses doivent alors être distinguées :
- Si un accord collectif ou une charte a été mis en place au sein de l’entreprise, le refus d’accorder le bénéfice du télétravail au salarié n’a pas être motivé s’il n’est pas éligible à ce mode d’organisation du travail dans les conditions prévues par l’accord collectif ou la charte. En revanche, si c’est le cas, l’employeur doit motiver sa réponse en cas de refus [[article L. 1222-9, III du code du travail]] ;
- En revanche, en l’absence d’accord collectif ou de charte relatif au télétravail, si l’employeur reste libre de donner suite, ou non, à la demande du salarié de passer en télétravail, il devra motiver ce refus, et ce pour chaque salarié qui en fera la demande.
Lorsque le passage au télétravail est demandé par l’employeur, le recours au télétravail présente pour le salarié un caractère volontaire, que ce soit lors de son embauche ou dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.
En conséquence, le refus par un salarié de passer en télétravail ne peut justifier la rupture de son contrat de travail [[article L. 1222-9, III du code du travail]].
En tout état de cause, un salarié en télétravail peut toujours décider d’y mettre fin et l’employeur doit lui donner la priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail lorsque celui-ci correspond à ses qualifications et à ses compétences professionnelles. Il doit alors porter à la connaissance du salarié en télétravail la disponibilité de tout poste de cette nature [[article L. 1222-10, 2° du code du travail]].
4. Le télétravail est-il obligatoirement à domicile ?
Le télétravail peut être exécuté aussi bien au domicile du salarié que dans un ou plusieurs espaces de travail situés en dehors de l’entreprise.
Cependant, les salariés dont le travail par nature ne s’exerce que sur le terrain et qui ne pourraient pas effectuer leurs tâches de manière sédentaire dans l’entreprise sont de fait exclus de la législation sur le télétravail.
5. Quelles sont les règles à respecter lorsque le télétravail se déroule à domicile ?
Un salarié n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile, ni d’y installer ses dossiers et outils de travail. Un tel ordre donné au salarié après la suppression de son bureau constitue une modification de son contrat qui peut l’autoriser à prendre acte de sa rupture [[Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.727]].
En outre, sauf stipulation contraire de l’accord collectif ou de la charte relatif au télétravail, lorsqu’il est convenu d’une exécution de tout ou partie du travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut pas modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié [[Cass. soc., 13 avril 2005, n° 02-47.621 ; 13 février 2013, n° 11-22.360]], même en présence d’une clause de mobilité [[Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-43.592 ; 12 février 2014, n° 12-23.051]].
Lorsque l’exécution du télétravail au domicile résulte du choix du salarié et que le travail peut tout aussi bien être réalisé au sein même de l’entreprise, l’employeur n’a pas à lui verser une indemnité d’occupation professionnelle de son domicile.
En revanche, lorsque l’exécution du télétravail à domicile résulte du choix de l’employeur, un salarié en télétravail peut prétendre à une indemnité d’occupation professionnelle de son domicile si aucun local professionnel n’est mis à sa disposition [[Cass. soc., 12 décembre 2012 n° 11-20.502 ; 8 novembre 2017, n° 16-18.499]]. De même, un salarié peut solliciter une indemnité d’occupation professionnelle de son domicile destinée à indemniser les frais engendrés par l’occupation de son domicile à titre professionnel [[Cass. soc., 7 avril 2010, n° 08-44.865]], même s’il bénéficie, au titre d’une clause contractuelle, d’une allocation forfaitaire pour frais professionnels [[Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-21.014]].
Le salarié doit prévoir un espace de travail respectant les règles relatives à l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail et accepte qu’un représentant de l’employeur contrôle la conformité de son logement, en particulier, des installations électriques préalablement à la prise d’effet du contrat.
Lorsque le salarié loue son logement, le salarié doit adresser une demande d’autorisation d’exercer une activité professionnelle au domicile, en précisant que son activité exclut la réception de clientèle ou de marchandises quelconques.
Enfin, l’assurance multirisque habitation devra couvrir l’espace dédié par le salarié à son activité professionnelle, ainsi que le matériel et les équipements mis à sa disposition par l’employeur. Le montant de cette ou de ces primes d’assurance devra est supporté par l’employeur.
6. Quel est le statut du salarié en télétravail ?
Le salarié en télétravail a les mêmes droits que le salarié travaillant dans les locaux de l’entreprise, bénéficie des mêmes entretiens professionnels est soumis aux mêmes politiques d’évaluation.
En outre, l’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail :
- De l’informer des restrictions à l’usage d’équipements informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect ;
- D’organiser chaque année un entretien portant notamment sur ses conditions d’activité et sa charge de travail. Sur le contrôle de la durée du travail [[article L. 1222-10 du code du travail]].
L’employeur est tenu de respecter la vie privée du salarié en télétravail. Si un moyen de surveillance est mis en place, il doit être pertinent et proportionné à l’objectif poursuivi et le salarié en télétravail doit en être informé. Cette mise en place doit aussi faire l’objet d’une information et d’une consultation du CSE dans les entreprises qui en sont pourvues.
7. Comment s’organise le temps de travail du salarié en télétravail ?
La charge de travail à domicile doit correspondre au volume de travail effectué lorsque le salarié travaille dans les locaux de la société. En conséquence, le télétravail ne doit pas avoir pour effet d’augmenter la charge de travail habituelle du salarié ou de compromettre la bonne exécution du travail.
En conséquence :
- L’employeur devra rappeler et s’assurer que l’ensemble des salariés organise leur temps de travail afin de respecter un repos quotidien minimum de 11h consécutives et un repos hebdomadaire de 35h minimum consécutives ;
- Pour les salariés dont le contrat de travail prévoit une base hebdomadaire ou mensuelle, celle-ci devra être respectée et il devra être rappelé au salarié qu’il ne peut accomplir d’heures de travail supplémentaires sans l’accord préalable et écrit de son supérieur hiérarchique ;
- Pour les salariés en forfait annuel en heures ou en jours, il devra leur être rappelé que les repos quotidien et hebdomadaire précités n’ont pas pour objet de définir une journée habituelle de travail de 13h mais une amplitude exceptionnelle maximale de la journée de travail (étant précisé que l’employeur est tenu au respect de la vie privée du salarié). En outre, il est recommandé de prévoir une plage horaire durant laquelle le salarié devra être tenu de répondre au téléphone, de participer aux réunions téléphoniques ou aux vidéoconférences organisées par sa hiérarchie et de consulter sa messagerie électronique.
A cet égard, il convient de mettre en place un logiciel de contrôle du temps de travail, ou de prévoir que la salarié en télétravail transmette régulièrement ses horaires de travail à son supérieur hiérarchique.
8. Que se passe-t-il en cas d’accident de travail lors du télétravail ?
Si un accident survient sur le lieu où est exercé le télétravail pendant les horaires du télétravail, cet accident est présumé être un accident du travail, sauf à l’employeur de démontrer que cet accident était sans lien avec l’exécution du travail.
Cette présomption n’aura pas de difficultés à s’appliquer pendant les plages horaires du salarié en télétravail dès lors qu’elles ont été bien définies et qu’elles donnent lieu à un contrôle. En dehors de ces plages horaires, il appartiendra au salarié de prouver que l’accident est survenu pendant son activité professionnelle [[Lettre circ. DSS-SDAFTH/84 98-161 R, 7 juillet 1998 : BJ Uncanss 41-98]].
9. L’employeur est-il tenu de fournir à ses salariés les équipements liés au télétravail ?
Le code du travail n’impose pas à l’employeur de fournir au salarié le matériel nécessaire au télétravail.
Cependant, l’article 7 de l’ANI du 19 juillet 2005 précise que lorsque le télétravail se déroule à domicile, « l’employeur fournit, installe et entretient les équipements nécessaires au télétravail. Si, exceptionnellement, le télétravailleur utilise son propre équipement, l’employeur en assure l’adaptation et l’entretien. »
Lorsque l’employeur fourni les équipements nécessaires au télétravail (ordinateur portable, téléphone, imprimante, etc.), ces équipements demeurent la propriété de l’employeur, et le salarié n’a en principe pas à les utiliser à des fins personnelles, sauf en cas d’urgence. Cela implique que le salarié doivent les restituer à la fin de la période de télétravail, ou à la fin de son contrat de travail.
Lorsque le salarié utilise son propre matériel, si une vérification préalable de conformité de son installation est nécessaire, les frais d’adaptation et d’entretien sont à la charge de la société. Cette vérification pourra se faire par le biais de la remise d’une attestation de conformité.
Dans les deux cas :
- En application de l’article L. 1222-10 du code du travail, l’employeur doit informer le salarié de toute restriction à l’usage d’équipements ou outils informatiques ou de service de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de ces restrictions.
- Le salarié est tenu de respecter toutes les consignes de sécurité et les interdictions d’utilisation de matériel ou d’équipement. Toute infraction à ces règles ou principes peut engendrer des sanctions pouvant aller, le cas échéant, jusqu’au licenciement.
10. L’employeur doit-il prendre en charge les frais liés au télétravail ?
L’article L 1222-10 du code du travail ne prévoit pas que l’employeur doit prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci.
Cependant, l’employeur doit toujours prendre en charge ces frais dès lors que :
- L’ensemble des frais exposés par un salarié pour les besoins de son activité professionnelle doivent lui être remboursés sans pouvoir être imputés sur sa rémunération [[ soc., 25 mars 2010, n° 08-43.156 ; 12 décembre 2012, n° 11-26.585]];
- L’article 7 de l’ANI du 19 juillet 2005 prévoit que l’employeur prend en charge, dans tous les cas, les coûts directement engendrés par le télétravail, en particulier ceux liés aux communications.
Nous sommes à votre disposition pour toute question et pour vous accompagner dans la mise en place de l’accord collectif, charte et/ou clause ou avenant à vos contrats de travail.
Maître Céline Bondard
Avocat à la Cour et au Barreau de New York
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