Le 23 mars 2020, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de coronavirus (« Covid-19 »). Le 25 mars 2020, était publiée au Journal Officiel une série d’ordonnances mettant en œuvre les mesures visées par la loi.
Parmi ces mesures, deux ordonnances sont consacrées au droit des sociétés, lesquelles énoncent de nombreuses adaptations au droit commun durant cette période de crise. Y figurent, entre autres, les règles d’approbation des comptes annuels et de tenues des assemblées générales. Une autre ordonnance, plus générale, emporte prorogation de certains délais pour la réalisation de certaines formalités administratives.
I. Quelles opérations sont visées par les Ordonnances ?
L’Ordonnance n° 2020-321 porte sur les règles de convocation, d’information, de réunion et de délibération des assemblées et réunions d’organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction tenues à compter du 12 mars 2020 et jusqu’au 31 juillet 2020, sauf prorogation de ce délai jusqu’à une date ultérieurement fixée par décret et, au plus tard, le 30 novembre 2020. Ces mesures concernent l’ensemble des assemblées et des organes collégiaux.
L’ordonnance n° 2020-318 concerne les règles relatives à l’établissement, l’arrêté, l’audit, la revue, l’approbation et la publication des comptes et des autres documents et informations que les personnes morales sont tenues de déposer ou de publier.
L’ordonnance n° 2020-306 porte sur l’aménagement des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire, allant du 12 mars 2020 au 24 mai 2020, et sur l’adaptation des procédures durant cette même période.
II. Quelles sociétés sont concernées ?
L’ensemble des sociétés commerciales sont concernées par les ordonnances : société anonyme (SA), société à responsabilité limitée (SARL), entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), société par actions simplifiées (SAS), société par actions simplifiées unipersonnelle (SASU), société en nom collectif (SNC), société en commandite simple (SCS).
L’ensemble des sociétés civiles sont visées également : société civile immobilière (SCI), société civile professionnelle (SCP), société civile d’attribution, société civile de construction vente (SCCV), société civile de portefeuille (article 1 : ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020).
III. Je ne peux pas expédier les convocations à l’assemblée par voie postale : l’assemblée sera-t-elle nulle ?
Non, l’ordonnance prévoit expressément ce cas de figure et retient qu’aucune nullité des assemblées n’est encourue lorsqu’une convocation devant être réalisée par voie postale n’a pu l’être en raison de circonstances extérieures à la société (article 2 de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020).
L’incapacité d’accéder aux locaux de la société, ou ceux d’un prestataire, afin de préparer et d’expédier les convocations du fait de l’épidémie de Covid-19 est d’ailleurs expressément visée par le rapport soumis au Président de la République comme circonstance extérieure à la société (article 2 de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020).
IV. Que se passe-t-il si l’assemblée ne peut se réunir en raison d’une interdiction émanant d’une autorité publique ?
En raison du confinement, il est probable que la tenue de certaines assemblées soit compromise, en particulier du fait de « mesures administratives limitant ou interdisant les réunions collectives pour des motifs sanitaires » (article 4 de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020). Dans ce cas de figure, l’article 4 de l’ordonnance prévoit que l’organe compétent pour convoquer l’assemblée ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe peut décider que l’assemblée se tienne sans que les membres et autres personnes autorisées à y participer ne soient physiquement présents. Ainsi, il peut être décidé de recourir à une réunion des membres par conférence téléphonique ou audiovisuelle.
Dans ce cas de figure, les membres participent ou votent à l’assemblée conformément aux règles habituelles prévues par les textes qui la régissent, sous réserve des aménagements de l’ordonnance.
Cette mesure emporte dérogation exceptionnelle et temporaire au droit des membres des assemblées d’assister aux séances ainsi qu’aux autres droits dont l’exercice suppose d’assister à la séance (tels que, par exemple, le droit de poser des questions orales ou de modifier les projets de résolutions en séance dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions).
Elle est sans effet sur les autres droits des membres (tels que, par exemple, le droit de voter, le droit de poser des questions écrites et le droit de proposer l’inscription de points ou de projets à l’ordre du jour dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions).
Les membres de l’assemblée et les autres personnes ayant le droit d’y assister sont avisés par tout moyen permettant de les informer de la date et de l’heure de l’assemblée ainsi que des nouvelles conditions dans lesquelles elle se tient (article 4 de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020).
V. Quelles sont les modalités de recours à la visio-conférence ?
L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 étend et assouplit exceptionnellement le recours à la visioconférence ainsi qu’aux autres moyens de télécommunication, y compris dans le cadre de l’approbation des comptes de la société.
Chaque société est autorisée pour la période, y compris ceux qui ne peuvent y recourir en temps normal en vertu de la loi, à utiliser ces moyens de télécommunication et de visioconférence en dépit des conditions d’exercice ou des réserves habituellement prévues par la loi ou par les statuts. Pour les besoins de calcul du quorum et de la majorité, l’organe compétent pour convoquer l’assemblée ou son représentant légal peut comptabiliser les membres qui participent par visio-conférence, sous réserve que la méthode choisie permette de les identifier.
Cependant, les moyens utilisés doivent permettre de garantir l’intégrité des débats et la société doit disposer des moyens techniques adéquats pour assurer la bonne tenue de l’assemblée.
La décision de recourir à la visioconférence ou autre moyen de télécommunication incombe à l’organe compétent pour convoquer l’assemblée ou, le cas échéant, à son délégataire : « l’organe compétent pour la convoquer (l’assemblée) ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe peut décider qu’elle se tient sans que les membres et les autres personnes ayant le droit d’y assister ne soient présents physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle » (article 4 de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020).
VI. Peut-on recourir à la consultation écrite des assemblées ?
La décision de recourir à la consultation écrite incombe à l’organe compétent pour convoquer l’assemblée ou à son représentant légal.
Quand bien même les statuts ou le contrat d’émission ne prévoiraient pas ou interdiraient de recourir à cette forme de consultation, l’ordonnance permet de mettre en place une consultation écrite (article 6 de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020).
VII. Les ordonnances prévoient-elles des prorogations de délais concernant l’organisation des assemblées générales, notamment l’approbation des comptes ?
Les prorogations de délais sont possibles. Ces prorogations valent pour toutes les « personnes morales et entités (…) clôturant leurs comptes entre le 30 septembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 » (article 3 de l’ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020). L’article 4 de ladite loi dispose que l’état d’urgence sanitaire est mis en place à compter de la promulgation de la loi pour une durée de deux mois. La loi ayant été promulguée le 24 mars, l’état d’urgence sanitaire court jusqu’au 24 mai 2020. Du fait de l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-318, la période de prorogation court jusqu’au 24 juin 2020.
Ainsi, les délais imposés par les textes législatifs ou réglementaires ou par les statuts sont « prorogés de trois mois » pour :
- Approuver les comptes et les documents qui y sont joints le cas échéant ;
- Convoquer l’assemblée générale chargée de procéder à l’approbation des comptes article 3 de l’ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020.
VIII. Les ordonnances prévoient-elles des prorogations de délais pour la tenue des conseils d’administration ou directoires ?
Concernant les sociétés anonymes, « le délai (…) imparti au directoire pour présenter au conseil de surveillance les documents mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 225-100 du même code est prorogé de trois mois » (article 1 de l’ordonnance n°2020-318).
Ces articles renvoient aux documents suivants :
- Les comptes consolidés, et les documents y afférents, devant être présentés par le conseil d’administration ou le directoire à l’assemblée générale dans un délai de trois mois suivant la clôture de l’exercice ;
- Le rapport sur le gouvernement d’entreprise présenté par le conseil d’administration à l’assemblée, lequel peut être joint au rapport de gestion accompagnant la présentation des comptes consolidés ;
- Le rapport trimestriel présenté par le directoire au conseil de surveillance de la société.
Concernant la liquidation des sociétés commerciales, l’article 2 de l’ordonnance dispose que « le délai de trois mois à compter de la clôture (…) imparti au liquidateur pour établir les comptes annuels et le rapport écrit mentionnés à cet article est prorogé de deux mois » (article 2 de l’ordonnance n°2020-318).
Concernant certains documents comptables, « les délais imposés au conseil d’administration, au directoire ou aux gérants (…) pour établir les documents (…) sont prorogés de deux mois ». (article 4 de l’ordonnance n°2020-318).
Au titre de cet article, et de l’article 11 du décret n° 2016-1769 auquel il renvoie, le conseil d’administration, le directoire ou les gérants sont tenus d’établir avant le 1er décembre de l’année précédant l’exercice auquel ils se rapportent, les documents suivants :
- Une situation de l’actif réalisable et disponible, valeurs d’exploitations exclues ;
- Une situation du passif exigible ;
- Un compte de résultat prévisionnel ;
- Un tableau de financement ;
- Un plan de financement prévisionnel.
IX. Que se passe-t-il pour les formalités déjà accomplies avant l’entrée en vigueur des ordonnances ?
Si les formalités de convocation de l’assemblée ont déjà été accomplies et que l’organe compétent pour la convoquer ou son représentant légal a décidé de recourir aux dérogations prévues par l’ordonnance (cf. questions IV, V et VI) : les membres de l’assemblée doivent en être informés à la date de cette décision.
Le cas échéant, « la modification du lieu ou des modes de participation ne donne pas lieu au renouvellement des formalités de convocation et ne constitue pas une irrégularité de convocation » (article 7.I de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020).
X. Puis je continuer les formalités d’enregistrement auprès des impôts et greffe ?
Les greffes des tribunaux de commerce assurent encore la relève des courriers, de même pour certains centres des finances publiques. Pour autant, les délais de traitement sont plus longs, voire beaucoup plus longs qu’à l’accoutumée. A cela s’ajoute les perturbations actuelles subies par les services postaux.
Il est à noter que si vous avez besoin de voir les formalités réalisées dans un certain délai, nous vous conseillons d’anticiper au mieux.
A titre d’illustration, si vous avez besoin d’enregistrer une augmentation de capital afin d’obtenir la libération des fonds versés par les souscripteurs, nous vous suggérons de vous adresser d’ores et déjà à votre banque afin de voir avec eux les modalités de libération des fonds dans un contexte où les formalités administratives attendues par les banques en vue de leur libération pourraient tarder à être obtenues.
Certaines formalités pourront également être réalisées par voie dématérialisée, notamment, mais pas exclusivement, celles afférentes à l’immatriculation de la société, changement de dirigeant, transfert de siège social, d’établissement, dépôt des comptes annuels, dissolution, déclaration de bénéficiaires effectifs, nomination de commissaire aux comptes.
D’autres formalités demandant en particulier un enregistrement aux impôts préalablement aux formalités de greffe ne pourront, elles, être réalisées par voie dématérialisées, notamment une cession de droit au bail, cession de fonds de commerce, augmentation de capital, cession de parts ou d’actions, transformation.
XI. Les délais pour effectuer les formalités d’enregistrement sont-ils prorogés ?
Les formalités réalisées auprès des greffes des tribunaux de commerce ainsi que certaines formalités réalisées auprès des centres des finances publiques bénéficient de prorogations de délais.
L’article 6 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que les délais en matière administrative s’appliquent « aux administrations de l’État, des collectivités territoriales, à leurs établissements publics administratifs ainsi qu’aux organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale » Ainsi, les greffes des tribunaux de commerce et les centres des finances publiques sont concernés.
Les délais afférents aux procédures et formalités accomplies auprès de ces entités sont suspendus si ces derniers devaient expirer entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 (article 7 de l’ordonnance n° 2020-306), sauf exception.
Cela ne s’applique pas aux formalités déclaratives : le report des formalités déclaratives ne s’applique pas aux déclarations servant à l’imposition et à l’assiette, à la liquidation et au recouvrement des impôts, droits et taxes (article 10 de l’ordonnance n°2020-306).
Ainsi, à compter du 24 juin 2020, les délais reprendront là où ils s’étaient arrêtés au 12 mars 2020.
Nous sommes à votre disposition pour toute question.
Maître Céline Bondard
Avocat à la Cour et au Barreau de New York
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