Votre objectif est de pouvoir signer une clause de force majeure qui inclut – par exemple – une maladie infectieuse tel le coronavirus, alors même que le coronavirus (le virus « Covid – 19 « ) – épidémie maintenant qualifiée de pandémie par les autorités – n’étant plus un évènement que l’on pourrait qualifier de « nouveau » depuis approximativement fin janvier 2020, il pourrait ne plus remplir toutes les conditions relatives à la qualification d’un évènement de force majeure.
Ainsi, si la pandémie n’est plus un évènement de force majeure, vous pourriez ne plus pouvoir actionner cette clause afin d’obtenir la résolution de votre contrat. De même, vous vous demandez si vos partenaires commerciaux vont pouvoir s’en prévaloir. Nous abordons ici les questions suivantes :
I. Quel est le cadre légal français entourant la redaction d’une clause de force majeure?
II. Que se passe-t-il si une partie des obligations ont déjà été réalisées avant la survenance de la force majeure ?
III. Comment rédiger votre clause de force majeure au sein de vos contrats commerciaux et tenant compte d’une pandémie telle le coronavirus (le virus « Covid-19 » ) ?
IV. Y a t-il des dispositions particulières pendant cette période d’urgence sanitaire?
I. Quel est le cadre légal français entourant la rédaction d’une clause de force majeure?
La force majeure est définie comme un événement à la fois (i) imprévisible et (ii) irrésistible, qui empêche une partie à un contrat de remplir ses obligations.
L’article 1218 du code civil précise en effet que:
“Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.”
Cependant, les parties contractantes ne sont pas toujours tenues par cette définition. Ainsi, la cour d’appel d’Aix en Provence dans un arrêt de principe avait retenu que les parties peuvent énumérer les événements (faits de la nature ou d’un tiers, fournisseur, sous-traitant, autorité publique) qu’elles considèrent comme constitutifs de force majeure (CA Aix, 6 mars 1980).
Dans ce cas de figure, la seule survenance de l’événement visé constitue la force majeure, sans qu’il y ait lieu de rechercher si le fait répond aux critères légaux de la force majeure que sont l’imprévisibilité et l’irrésistibilité (CA Versailles, 12 décembre 1996 et Cass., com. 9 décembre 1986).
Par le passé, les juges du fond ont parfois refusé d’admettre qu’une épidémie puisse caractériser une situation de force majeure, notamment en raison de la faible gravité des maladies concernées et de leur manque d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.
C’est notamment le cas de la cour d’appel de Nancy dans un arrêt du 22 novembre 2010 (n° 09/00003) relatif à la dengue ainsi que d’un autre arrêt de la cour d’appel de Basse Terre du 17 décembre 2018 (n° 17/00739) sur le chikungunya.
Également, mais pour défaut de causalité, la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 17 mars 2016 (n° 15/04263) avait refusé la caractère de force majeure de l’épidémie d’Ébola en Afrique de l’Ouest qui, selon le demandeur, aurait provoqué la baisse de sa trésorerie.
Pour autant, la vitesse à laquelle l’épidémie est arrivée sur le territoire français et l’ampleur des mesures gouvernementales qu’elle a suscité témoignent de son irrésistibilité ainsi que de son imprévisibilité.
De plus, en matière de droit d’asile, le Covid-19 a déjà été reconnu comme événement de force majeure par la cour d’appel de Colmar dans un arrêt du 12 mars 2020
(n° 20/01098).
Bien que les juges ne soient pas tenus par cette décision, celle-ci démontre que la caractérisation de force majeure est possible. Cependant, la force majeure doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat, et en particulier son imprévisibilité.
Ainsi, il est certain que pour un contrat formé antérieurement aux premiers cas de Covid-19 : l’épidémie présentera un caractère imprévisible. En revanche, si le contrat a été conclu en février 2020, au moment où le virus arrivait en Europe et commençait à faire l’objet d’un important suivi médiatique, il est bien moins probable que l’imprévisibilité soit admise.
II. Que se passe-t-il si vous avez réalisé une partie de vos obligations avant la survenance de la force majeure ?
Il n’y a pas obligatoirement restitution en cas de résolution du contrat suite à une force majeure.
L’article 1218, alinéa 2, affirme que le retard prolongé de la suspension des obligations du contrat entraîne la « résolution » de ce dernier. Il ajoute à cela que si l’empêchement est « définitif, alors « le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations ».
Pour répondre à notre problème, savoir ce qu’il advient des obligations réalisées avant survenance de la force majeure, il convient de se référer au régime de la résolution. Jusqu’à la réforme du 1er octobre 2016, la résolution emportait l’anéantissement du contrat et, traditionnellement, la remise en l’état de la situation des parties avant la formation du contrat.
La cour d’appel de Reims, dans un arrêt du 3 octobre 2017 (n°14/02758) faisant alors application de l’ancienne règle, résume cette règle :
« La résolution a pour effet d’anéantir le contrat de façon rétroactive, ce qui impose de remettre les parties en l’état où elles se trouvaient avant la conclusion. Ainsi, la résolution du contrat de vente et de prestation de service entraîne la restitution du prix et la restitution du matériel livré et installé ».
Désormais, tel qu’indiqué à l’article 1229 alinéa 3 du Code civil :
« Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. »
Ainsi, la restitution des sommes engagées, versées et plus généralement des obligations réalisées avant la survenance de la force majeure n’est plus systématiquement appliquée.
La réponse à la question dépendra de l’économie du contrat et nécessitera donc une approche casuistique. Il faudra ici surveiller attentivement les décisions à venir des tribunaux qui appliqueront la loi nouvelle. En tout état de cause, il pourrait vraisemblablement y avoir restitution, par exemple pour :
- Tout contrat de vente, puisque la remise en cause du transfert de propriété ne peut s’opérer sans que la chose vendue et le prix payé soient restitués, il en est de même pour tout contrat translatif de propriété (cession, apport, donation) ;
- Les contrats de crédit-bail dont les choses louées n’ont pas donné satisfaction dès leur mise en service ou encore les contrats de bail en cas d’inexécution ou d’exécution imparfaite dès l’origine.
- Les contrats à prestations échelonnées que les parties ont conçu comme un tout indivisible (donc expressément reliés entre eux) ;
Ainsi, lorsque les prestations échangées ne trouvent leur utilité que par l’exécution complète, une restitution doit se faire afin que les parties se retrouvent dans la même situation que celle précédent la formation du contrat.
Dans le cadre de l’organisation d’évènements, par exemple, on peut imaginer que cela entraîne des situations conflictuelles, ou un client demanderait remboursement de toutes les sommes réglées au regard de l’annulation de l’évènement, considérant la prestation comme un tout indivisible, tandis que le prestataire lui, demandera la conservation des sommes perçues dans le cadre de l’organisation de l’évènement étant donné que cette organisation préalable représente l’essentiel de sa prestation et serait pour lui, divisible de l’évènement (par exemple, toute la création artistique y afférente).
III. Comment rédiger votre clause de force majeure au sein de vos futurs contrats commerciaux et tenant compte d’une pandémie telle le coronavirus (le virus « Covid-19 ») ?
Il est utile de rédiger une clause precise au sein de vos contrats commerciaux, d’autant que la plupart des assurances ici ne couvrent pas ce type de sinistre. Nous vous invitons bien évidemment en parallèle, à verifier si vos contracts comportent des dispositions relatives aux pandémies, et à renégocier en tant qu’utile les dispositions de vos contrats d’assurance.
La clause de force majeure de vos contrats commerciaux en l’état devrait tenir compte notamment des principes suivants:
- Identifier différentes natures de cas de force majeure, les causes pouvant être multiples (climatique, bactériologique, militaire, politique, informatique…) ;
- Offrir une liste non exhaustive de cas de force majeure à titre illustratif, dont l’exemple d’une pandémie telle que le coronavirus (tornades, inondations, ouragans, tremblements de terre, éruptions volcaniques ; la propagation d’une infection bactérienne de tel stade ; l’’utilisation par un État ou un groupe terroriste d’armes de toute nature perturbant la continuité des relations commerciales ; des mouvements sociaux d’ampleur nationale; la déclaration de la loi martiale ou encore la décision d’un gouvernement, avec la participation ou non de ses alliés, de mettre en place un blocus maritime, aérien et/ou terrestre,…)
- Encadrer la reconnaissance d’une situation de force majeure en obligeant la Partie désirant s’en prévaloir à en notifier l’autre, à exposer l’impact de l’événement sur sa capacité à remplir ses obligations, à fournir les justificatifs démontrant l’existence de la force majeure, par le biais en particulier de décisions venant d’une autorité administrative.
- A encadrer les paiements dus par l’une ou l’autre des parties relativement aux prestations accomplies avant la survenance de l’évènement de force majeure.
Nous vous invitons à examiner au cas par cas le niveau de détail requis pour les points (a) et (b) en fonction de la situation qui est la vôtre. En effet, cette clause qui vous permet de vous dégager de vos obligations en évoquant l’épidémie ou pandémie (qu’il s’agisse de coronavirus ou de tout autre virus) dégage également votre cocontractant des mêmes obligations.
Quand à encadrer les paiements, dûs par l’une ou l’autre des parties, elle vous demandera une rédaction attentive (voir point III ci-dessous).
Par ailleurs, quand bien même vous ne pourriez invoquer la clause de force majeure, il est nécessaire de vérifier si d’autres dispositions au sein de vos contrats commerciaux vous en permettent la résiliation : clauses de résiliation sans faute, imprévision.
En particulier, une clause d’imprévision correctement rédigée pourrait vous permettre d’invoquer un changement de circonstances imprévisible au moment de la signature du contrat et ainsi forcer les parties à se mettre autour de la table afin d’en renégocier les termes notamment financiers.
Afin de sécuriser vos intérêts, et dans le cadre d’évènements tels que le coronavirus, ou de façon plus globale toute maladie infectieuse, évènement climatique, il est donc de plus en plus nécessaire de se pencher sur l’économie globale d’une clause qui nous demande de plus en plus non seulement d’anticiper l’imprévisible, mais aussi ses conséquences.
IV. Y a-t-il des dispositions particulières applicables en ce moment, pendant la période d’urgence sanitaire ?
L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette période (JORF du 26 mars 2020) a des impacts directs sur l’(ine)xécution des contrats privés pendant la période s’écoulant du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, période qui est qualifiée de « période juridiquement protégée » par une circulaire du 26 mars 2020.
Durant cette période, l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 prévoit que les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant cette période. Elles sont suspendues et prendront effet un (1) mois après la fin de cette période, si tant est que le débiteur n’ait pas exécuté son obligation d’ici là.
Les astreintes et clauses pénales qui avaient commencé à courir avant le 12 mars 2020 sont suspendues et reprendront effet dès le lendemain de la période juridiquement protégée.
La circulaire du 26 mars 2020 explique que cet « article 4 vise à tenir compte des difficultés d’exécution résultant de l’état d’urgence sanitaire en paralysant, durant cette période, les astreintes prononcées par les juridictions ou les autorités administratives ainsi que les clauses contractuelles ayant pour objet de sanctionner l’inexécution du débiteur. »
Ainsi, durant cette période, même en l’absence de tout cas de force majeure avéré, le débiteur d’une obligation contractuelle qui ne l’exécute pas dans le délai prévu par le contrat, ne peut pas se voir appliquer d’astreinte et/ou se voir opposer l’application de clauses contractuelles qui ont pourtant été prévues pour sanctionner une telle inexécution. L’ordonnance octroie ainsi une certaine protection, temporaire, à un débiteur qui ne s’exécute pas, quand bien même il ne serait pas dans l’impossibilité d’exécuter son obligation.
Nous sommes à votre disposition pour toute question.
Maître Céline Bondard
Avocat à la Cour et au Barreau de New York
Toque B0181
Site Internet: www.bondard.fr
Cabinet Bondard – Toque B0181
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