Bondard -  Les Contrats à Titre Gratuit ou Sans Contrepartie Pécuniaire sont-ils légaux

Les Contrats à Titre Gratuit ou Sans Contrepartie Pécuniaire sont-ils légaux ?

Saviez-vous que les contrats d’échange de services sans contrepartie pécuniaire sont juridiquement considérés comme onéreux ? Il est fréquent dans la vie de toute société innovante, startup ou licorne, de faire des partenariats, de bénéficier d’avantages gratuits ou encore de mettre en place des contreparties non financières (services contre publicité par exemple).

Pour autant, ces contrats à titre gratuit ou sans contrepartie pécuniaire sont-ils légaux ? Comment sont-ils encadrés ? 

 

I – Les contrats à titre gratuit et les contrats sans contrepartie pécuniaire : légaux ou pas légaux ?

 

A. Définitions

Le contrat à titre gratuit est, depuis la réforme du droit des contrats du 1er octobre 2016, défini au nouvel article 1107 alinéa 2 du Code civil :

« [un contrat] est à titre gratuit lorsque l’une des parties procure à l’autre un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie. »

Ainsi, par opposition au contrat à titre onéreux, le contrat à titre gratuit est celui dans lequel une seule des parties exécute une obligation, sans contrepartie aucune.

Ces contrats sont donc légaux si rédigés correctement, en même temps il est souvent plus facile de les remettre en cause que des contrats à titre onéreux, et par ailleurs, la légalité d’un tel contrat ne signifie pas qu’aucune fiscalité ne s’y applique.

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles vous pourriez décider de signer un contrat à titre gratuit : soit parce que l’échange ne contient matériellement aucune contrepartie, soit parce que l’un des signataires de l’accord manifeste explicitement son absence de volonté de recevoir une contrepartie.

Lors de la rédaction d’un tel contrat, « l’intention libérale » doit être rédigée le plus clairement possible.

En cas de contentieux, c’est à la personne qui fait valoir la gratuité de l’échange, « l’intention libérale » du contrat, d’en apporter la preuve ; qu’il soit le donateur ou le donataire.

La décision d’imposer la charge de la preuve à la personne qui fait valoir la gratuité du geste remonte à 1989, lorsque la cour de cassation a eu à trancher dans une affaire opposant un couple et leur architecte. (Cass. 3e Civ. 31 mai 1989 : Bull. civ. III p. 70).

Dans cet arrêt de principe, un couple assurait que leur architecte avait réalisé les travaux au sein de leur maison à titre gratuit. L’architecte lui s’en défendait. En première et seconde instance, les juges du fond avaient considéré que c’était à l’architecte de prouver le caractère onéreux de ses prestations. Mais la Cour de cassation a finalement tranché en faveur de l’architecte : celui qui se prévaut d’une libéralité, en l’espèce le couple bénéficiaire des prestations, doit prouver l’intention libérale du donateur.[1]

Ainsi, la Cour de cassation a “posé implicitement une présomption d’onérosité” des contrats[2], qui reste de jurisprudence constante (Voir Cass. Civ.1, Arrêt nº 302 du 31 mars 2016, Pourvoi nº 14-20.193). 

Il faut donc bien distinguer les contrats à titre gratuit (sans contrepartie) et les contrats sans contrepartie pécuniaire, à l’image d’un contrat d’échange de services par exemple, car ce dernier est juridiquement considéré comme « onéreux ».   

La distinction entre contrats à titre gratuit ou onéreux repose ainsi sur la présence ou non d’une contrepartie, quelle qu’en soit sa nature. Le contrat est donc considéré comme à titre onéreux lorsqu’il existe une « contrepartie » constituée par un « avantage » même si cet avantage n’est pas financier. (V. par ex. Cass. com. 16 déc. 2014, n° 13-25.765 : JurisData 2014-031671 ; Bull. civ. IV, n° 189 ; JCP E 2015, 1051, note B. Brignon : un acte de partage comportant une contrepartie ne peut être qualifié d’acte à titre gratuit).

Le Code civil définit le contrat à titre onéreux à l’article 1107 alinéa 1 :

« Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure. »

En conséquence, il est fondamental d’être clair sur l’intention de chacune des parties au contrat, car le régime juridique applicable à la convention dépendra de son caractère onéreux ou gratuit. Ainsi, par exemple, céder sa marque à titre gratuit n’a pas les mêmes conséquences juridiques que de céder sa marque en contrepartie d’une prestation de service. (Voir ci-dessous II).

 

B. Illustrations

Parmi les contrats à titre gratuit de l’article 1107 al. 2 du Code civil, se distinguent deux types d’actes : les actes qui opèrent un transfert de valeur entre les patrimoines des deux parties, et ceux qui n’opèrent pas de transfert de valeur.

Les actes à titre gratuit dits « libéralités », constatent l’appauvrissement patrimonial d’une des parties.

Par exemple, abandonner une créance peut être considéré comme une libéralité, puisque cela appauvrit celui qui l’abandonne et enrichit son bénéficiaire. 

En matière de libéralités, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du  18 septembre 2013, a ainsi jugé qu’en vertu des dispositions de l’article L 122-7 du code de la propriété intellectuelle, la cession de droits d’auteur peut être consentie à titre gratuit.

Les juges du fonds précisant néanmoins que, d’une part, « le cessionnaire peut exploiter commercialement l’œuvre ainsi cédée, l’auteur étant libre de renoncer à percevoir des droits patrimoniaux sur cette exploitation, encore faut-il que celui-ci ait eu une claire conscience de ce qu’il cède à titre gratuit », et que d’autre part, « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».[3]

Au sein de cette espèce du 18 septembre 2013, en l’absence de contrat de cession écrit, le cessionnaire qui se prévalait d’une libéralité de la part de l’auteur, n’a pu prouver le caractère gratuit de la cession des droits patrimoniaux.

A leur tour, les contrats de service gratuit, également dénommés « contrats désintéressés ou contrat de bienfaisance », n’opèrent, quant à eux, aucun transfert de valeur de patrimoine à patrimoine mais obligent à fournir un service non rémunéré, qualifié de « commodat » ou de « prestation gratuite de travail ».

Par exemple, réaliser gratuitement et volontairement un logo pour une marque.

En revanche, s’il est stipulé que la réalisation non payante de ce logo implique la présence du nom de votre entreprise sur le site de l’entreprise destinataire du service rendu ou toute autre forme de contrepartie, il s’agit alors d’un contrat d’échange de services considéré comme onéreux (ce n’est plus un contrat à titre gratuit).

En tout état de cause, en l’absence « d’intention libérale » explicitement formulée, le contrat pourrait être requalifié en contrat à titre onéreux.

 

II- Les conditions de conclusion et d’exécution

 

A. Les conditions de conclusion

La conclusion des contrats à titre gratuit et contrats sans contrepartie onéreuse (hors contrat d’échange de choses) sont soumises aux conditions du droit commun des obligations.

Le nouvel article 1128 du Code civil, applicable aux contrats conclus après le 1er octobre 2016, dispose que :

« Sont nécessaires à la validité d’un contrat :

1° Le consentement des parties ;

2° Leur capacité de contracter ;

3° Un contenu licite et certain. »

Il faut noter en particulier que la capacité de contracter des deux parties est strictement observée, l’article 901 du Code civil disposant que : « pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence ».

En outre, la libéralité pourra faire l’objet d’une révocation unilatérale de la part du disposant en cas d’ingratitude, pour la donation entre vifs, ou d’inexécution des conditions sous lesquelles elle a été faite (articles 953 à 966 du Code civil).

 

B. Les conditions d’exécution

A la différence du contrat sans contrepartie pécuniaire, le contrat à titre gratuit est en général considéré comme conclu intuitu personae.

Ainsi, l’erreur sur la personne entraîne plus facilement la nullité, que dans les contrats à titre onéreux.[4]

De même, l’erreur sur un simple motif, qui n’est de façon usuelle pas une cause de nullité, le devient si cette erreur a été commise dans le cadre d’un contrat conclu à titre gratuit.

En effet, l’article 1135 du Code civil prévoit que :

 « L’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. 

Néanmoins l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité. »

Les règles du droit civil sont donc très protectrices envers le contractant qui se dépouille d’une partie de son patrimoine sans contrepartie aucune. 

 

 III. L’impact fiscal non négligeable sur la transaction à titre gratuit

 

A. Dans les contrats à titre gratuit 

Les contrats à titre gratuit sont exemptés de taxe sur la valeur ajoutée. Le Bulletin officiel des finances publiques-impôts dispose :

« Bien entendu lorsqu’une opération est effectuée gratuitement, elle n’est pas placée dans le champ d’application de la TVA. »[5]

Pour être assujetti à la TVA, l’opération doit avoir un caractère onéreux.

Il faut noter que l’administration fiscale n’est pas liée par le prix mentionné dans la transaction. Pour les particuliers il y a un risque de requalification en donation, tandis que pour les entreprises il y a un risque de qualification d’acte anormal de gestion.

Pour les particuliers, une requalification en donation entrainera la soumission aux droits de mutation, fixés par décret[6], varient en fonction de différents facteurs et notamment du lien unissant le donateur et le donataire (lien parental), de la valeur pécuniaire du bien donné ou encore de l’âge du donataire.

En pratique, que se passe-t-il si vous cédez votre brevet ou votre marque à titre gratuit ? 

Pour les entreprises, les cessions ou concessions de licence doivent être faites à la juste valeur.

L’administration redresse fréquemment des transactions sous l’angle de l’acte anormal de gestion ou de revenus réputés distribués.

La question se pose sur les licences de marques, notamment sur les licences à titre gratuit.

Une licence à titre gratuit peut être envisagée si l’intérêt de l’entreprise le justifie comme la conquête de nouveaux marchés ou le lancement d’un produit par exemple.

Une licence gratuite devra être limitée dans le temps.

L’administration bénéficie de benchmark précis sur les licences ; il conviendra donc de justifier attentivement le taux pratiqué.

 

B. Dans les contrats sans contrepartie monétaire

Dans l’hypothèse où deux parties concluent un contrat dans lequel leurs obligations réciproques se compensent – par exemple X réalise des prestations intellectuelles pour Y, et Y lui fait de la publicité sur son site Internet, ce contrat n’est pas un contrat à titre gratuit.

Ce contrat, à titre onéreux, comprend ainsi deux obligations de faire.

Dès lors, le contrat entre dans le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). La jurisprudence utilise en effet la notion de « contre-valeur » c’est-à-dire toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir (cotisations, redevances, prix, remise de biens ou prestations de services dans le cadre d’un échange, etc.) en contrepartie d’une livraison de biens ou d’une prestation de services, afin de soumettre l’échange de biens ou prestations à titre onéreux à la taxe sur la valeur ajoutée.[7]

 

Par Maître Céline Bondard, avocate aux Barreaux de Paris et New York,

Présidente et co-fondatrice de la French-American Bar Association en France 

Avec la contribution de Capucine Nicolas, juriste au sein du Cabinet Bondard et de notre confrère Gregory Groléas, Avocat à la Cour et fiscaliste.

 www.bondard.fr

 

 

[1] Cass. 3e Civ. 31 mai 1989 : Bull. civ. III p. 70

[2] RTD Civ. 1990 p.69 – L’article 1105 et la preuve d’un contrat de bienfaisance – Jacques Mestre

[3] Cour d’appel de Paris, 18 septembre 2013, RG n°12/02766

[4] Dalloz – Répertoire de droit civil – Contrat (Généralités) – Mathias LATINA – décembre 2013 (actualisation : juin 2016)

[5] Bofip n°BOI-TVA-CHAMP-10-10-10-20120912  B §90

[6] Instruction du 7 mars 2012 BOI 7 G-2-12 Droits de mutation à titre gratuit. Tarifs et liquidation des droits

[7] Bofip n°BOI-TVA-CHAMP-10-10-10-20120912  B §90

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